Octobre 2025 Octobre 2025
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Château La Clotte :
qu’éveille-t-il en vous ?
Nous savons qu’il y a des noms qui font frissonner les palais rien qu’à leur évocation. Pour les amateurs de grands vins de Bordeaux, certains châteaux jalonnent ce parcours d’initié comme des phares. Et puis, il y a ceux que l’on découvre presque par hasard, ou que l’on aime se faire confier en secret. Château La Clotte fait partie de ces lieux rares.
Quatre hectares seulement au cœur de Saint-Emilion, et une intensité singulière que nous avons à cœur de perpétuer. Ici, la nature impose sa force et façonne des vins à la hauteur de son terroir. C’est un vignoble adossé au coteau calcaire de Saint-Émilion, qui invite davantage à ressentir qu’à décrire. Edouard relève le défi de mettre vos sens en éveil, sans tout dévoiler. Car l’essentiel restera à vivre le jour où vous viendrez ici, dans l’intimité de ce lieu unique.
Un lieu chargé d’histoire à Saint-Émilion
L’histoire du Château La Clotte dans la famille Vauthier a démarré en 2014. Mon père a fait cette acquisition avec ma sœur Pauline à ses côtés. À cette époque, j’étais en Asie et Constance exerçait encore le métier de vétérinaire. Nous n’étions pas impliqués directement dans la gestion mais nous avons suivi cette étape marquante dans la vie de l’esprit d’Ausone.
Notre père connaissait bien les terroirs du Château La Clotte. Au-delà du potentiel, c’était une évidence. La ressemblance profonde et la proximité géographique entre ce lieu et celui du Château Ausone l’ont décidé : même socle calcaire, mêmes carrières, même silence sous la roche. Il avait déjà en tête un chai souterrain, en continuité de l’expertise des équipes au Château Ausone.
Ceux qui connaissent cette petite route encaissée sous le village de Saint-Emilion dans le vallon de Fongaban savent combien le lieu est singulier. Ici, les vignes, la roche calcaire affleurante, les jardins et les figuiers… tout s'entremêle. Et puis, en levant les yeux, on aperçoit la maison, posée là-haut sur le coteau, avec sa tourelle de style néo-gothique qui regarde au loin. Elle semble veiller sur la vallée. Après deux virages en épingle, bordés d’un mur en pierres sèches que nous avons restauré, on arrive à l’entrée de la carrière souterraine, juste à côté de la maison. On comprend sur l’instant qu'ici, tout se joue à l'intérieur. Ce n’est pas un lieu qui se dévoile d’un coup d’œil. Il faut entrer, laisser ses yeux s’habituer à l’ombre, écouter le silence. Dans la pierre creusée, le temps ralentit. On ne regarde plus, on ressent.
"Nous avons choisi d’installer le chai de vinification et d’élevage au cœur même de la carrière creusée derrière la maison, une configuration rare à Saint-Émilion, placée sous la vigilance de Thierry Lézin, maître de chai pour les vignobles Vauthier depuis 1991."
La vinification et l’élevage en carrière
Au Château La Clotte, la roche n’est pas qu’un sol, c’est une mémoire. Elle porte les traces d’un Saint-Émilion souterrain, façonné par les galeries, les carrières, les hommes.
Nous avons choisi d’installer le chai de vinification et d’élevage au cœur même de la carrière creusée derrière la maison, une configuration rare à Saint-Émilion, placée sous la vigilance de Thierry Lézin, maître de chai pour les vignobles Vauthier depuis 1991. Dans ce monde souterrain, la température moyenne est de 13°C, avec une humidité constante de 100 %. Cette stabilité nous permet de travailler sans climatisation (avec une incidence immédiate sur notre bilan carbone), de limiter l’évaporation pendant l’élevage et d’offrir au vin une respiration particulière, en résonance avec son terroir.
L’espace de travail est fonctionnel et offre une grande précision. Les fermentations se font en petites cuves inox. Nous pratiquons des pigeages doux avec le marc immergé. Puis, nous apportons une attention toute particulière aux vins de presse qui sont réintégrés dans l’assemblage final. L’élevage se prolonge toujours dans la carrière pendant environ 18 mois en barrique neuve.
La dégustation
Dans le verre, Château La Clotte s’exprime par une attaque nette. Le fruit est éclatant, pur, presque lumineux : il remplit la bouche avec une énergie vivante, spontanée. Puis, peu à peu, le vin s’installe. En milieu de bouche, il gagne en ampleur, en précision, avec une texture soyeuse qui évoque le soin porté à chaque détail. L’arrivée des jeunes cabernets francs devrait enrichir encore ce toucher, tandis que le calcaire, fidèle socle du lieu, offre sa trame aromatique et une matière vibrante qui soutient l’ensemble.
"En haut, les calcaires à astéries structurent la trame ; au milieu, les argilo-calcaires apportent finesse et une tension sapide en finale ; en bas, les alluvions déposés dans le vallon de Fongaban offrent rondeur et fruit."
Un terroir complexe : 10 parcelles, 3 sols, 2 expositions
C’est bien à la dégustation que l’on peut ressentir toute la complexité du terroir de La Clotte, nivelé sur trois terrasses. En haut, les calcaires à astéries structurent la trame ; au milieu, les argilo-calcaires apportent finesse et une tension sapide en finale ; en bas, les alluvions déposés dans le vallon de Fongaban offrent rondeur et fruit. L’eau stockée dans la roche et qui s’écoule dans ce petit ru est une ressource inestimable à l’heure du changement climatique. L’esprit Ausone, c’est cela : unir l’excellence d’un grand terroir à une remise en question permanente, où chaque détail a son importance.
Un lieu à vivre
Nous entamons aujourd’hui la dernière étape du projet : la rénovation de la maison pour en faire un lieu de réception. Comme toute restauration de monument protégé, les aléas s’invitent, mais nous gardons pour objectif l’inauguration en 2028. Nous voulons que ce lieu situé en haut de coteau dans le village soit propice à l’invitation, à des instants de dégustation uniques face à un panorama exceptionnel. Depuis les fenêtres de la maison, nous pouvons apercevoir l’ensemble des propriétés de l’esprit Ausone et au loin, la Dordogne. Aurait-on pu imaginer un meilleur cadre pour déguster nos vins ? Tout est réuni au Château La Clotte.
"Depuis les fenêtres de la maison, nous pouvons apercevoir l’ensemble des propriétés de l’esprit Ausone et au loin, la Dordogne. Aurait-on pu imaginer un meilleur cadre pour déguster nos vins ? Tout est réuni au Château La Clotte."
Ce que nous construisons ici, c’est un projet à long terme. Le vin, la pierre, la transmission. Rien n’est fait pour briller dans l’instant. Avec Constance, nous n’avons pas envie de laisser une trace personnelle. Nous espérons que dans 60 ou 80 ans, on parlera de la qualité des millésimes produits, que les générations suivantes hériteront d’un environnement sain et que l’histoire continuera, en silence, dans la roche calcaire.
02
Dégustation d’un autre temps
Un voyage vertical à New York
Il y a des soirées qui suspendent le temps.
Celle que nous avons vécue à New York, autour de vieux millésimes de Château Ausone et de Chapelle d’Ausone, en fait indéniablement partie.
Partager des moments de dégustation est au cœur de notre métier. C’est ce qui nous relie à l’essentiel : l’émotion des terroirs, la personnalité des millésimes, la transmission des gestes. Lorsque l’un de nos partenaires spécialisés dans les vieux millésimes nous a proposé d’organiser un dîner pour une poignée d’amateurs éclairés, nous avons immédiatement accepté. Car ces moments, loin des vignes et des chais, sont précieux : ils nous permettent de prendre du recul, de rencontrer, de transmettre et, surtout, de ressentir.
Les dégustations verticales sont un voyage dans le temps. Elles offrent une photographie de l’évolution d’une propriété, un fil rouge entre les générations. Il y a une émotion particulière à goûter un vin façonné bien avant nous car on touche alors à l’intemporel. Cette pensée guide nos choix au quotidien avec Constance : transmettre, et être à la hauteur de ce que nous avons la chance d’avoir aujourd’hui entre les mains.
Le décor était à la hauteur de l’événement dans une salle du restaurant doublement étoilé Gabriel Kreuther à Manhattan. Autour de la table, quinze convives venus d’horizons et d’âges différents, réunis par la même passion, celle des grands vins. L’atmosphère s’est installée rapidement : convivialité, passion et découverte. Maxime et Bruno, chefs d’orchestre de la soirée, ont donné le ton : “Ici, c’est comme à la maison.”
"Autour de la table, quinze convives venus d’horizons et d’âges différents, réunis par la même passion, celle des grands vins. L’atmosphère s’est installée rapidement : convivialité, passion et découverte."
Nous avons ouvert le bal avec les millésimes les plus récents : 2011 de Chapelle d’Ausone. Un millésime dit classique et précoce pour l’appellation : notes de fraise des bois, de truffe, une pointe réglissée. Les tanins fondus et la minéralité fine affûtent le palais.
L’introduction est parfaite, suivent dix millésimes répartis sur huit décennies.
Château Ausone 2012 offre une mise en jambe précise et linéaire avec ce millésime abondant et délicat. Puis vient 2005 : un bouquet de cabernet franc et de merlot délicieusement mûrs, à l’équilibre magistral. Tout est à sa place, les tanins sont d’une finesse remarquable et la longueur semble encore résonner dans les murs du salon.
On se remet à peine de cette onde qu’arrive Château Ausone 2000. Millésime mythique. La préparation de la bouteille avec deux heures de décantation sublime l’équilibre du vin à maturité : ample, juste ce qu’il faut, ni trop puissant, ni trop tendre. Les fruits mûrs se fondent dans une texture veloutée. Ce vin n’a pas besoin d’impressionner : il s’impose naturellement au fil des conversations qui se réchauffent.
Château Ausone 1995 apporte une respiration. Ce millésime plus frais est marqué à la propriété par le début de la production de Chapelle d’Ausone. Puis surgit 1985, splendide : les notes tertiaires s’affirment – truffe, tabac, pruneau – avec un léger patiné, sans excès, et la noblesse d’une grande œuvre maîtrisée. Château Ausone 1978 s’inscrit dans cette même veine aromatique, fidèle au style de son époque. Il faut noter que cette année les vendanges ont été tardives. Au Château Simard, elles se sont d’ailleurs terminées après la Toussaint.
Puis arrive Château Ausone 1961, millésime à petit volume et de grande qualité. Servi à l’aveugle, un brin joueur, mais quelle expérience ! La majorité des convives annonce 1982 : la bataille des légendes est lancée. La douceur des cabernets se mêle à des épices subtiles, la complexité s’épanouit avec une grâce feutrée.
"Puis arrive 1961, millésime à petit volume et de grande qualité. Servi à l’aveugle, un brin joueur, mais quelle expérience ! La majorité des convives annonce 1982 : la bataille des légendes est lancée."
On pensait avoir atteint un sommet, et pourtant vient Château Ausone 1947. C’était la première fois que je dégustais ce millésime d’après-guerre, et l’instant portait un supplément d’âme que toute la table a ressenti. Année chaude et sèche, aux rendements faibles mais à la qualité exceptionnelle, elle a marqué l’histoire : les degrés d’alcool avaient atteint naturellement 14, fait rarissime alors, devenu presque banal aujourd’hui. Dans le verre, il y avait une jeunesse éternelle, une extase lumineuse : tanins soyeux, fine sucrosité, fruits blancs exotiques, abricot et kirsch. Tout était d’une intensité douce et persistante. Une émotion inoubliable.
Enfin, Château Ausone 1937 est venu clore le dîner avec pudeur, offrant la fragilité précieuse de tanins légers et une délicate amertume.
Comment conclure un tel moment ? Que retenir après avoir goûté, en un verre, une part de l’histoire de la famille ? On retourne simplement à la vigne, au chai, auprès des équipes, avec la conviction renouvelée de ce que nous voulons insuffler dans les vins que nous façonnons aujourd’hui pour les générations futures.
Un immense merci au restaurant Gabriel Kreuther pour l’accueil et la qualité remarquable de sa cuisine, qui ont magnifié cette expérience hors du temps.